Quinté+: Le portrait de la semaine - Aidan O'Brien, la classe internationale (2024)

Déjà détenteur de 371 victoires de Groupe1 (avec les récents Prix de Diane et du Jockey Club) à travers la planète, Aidan O’Brien n’était pas destiné à devenir le plus grand entraîneur de tous les temps. Né dans le Comté de Wexford en octobre 1969, il fait partie d’une fratrie de six enfants, dont le père Denis était agriculteur et entraîneur de quelques chevaux de courses, en bon irlandais passionné mais pas plus. C’est un pur hasard si Aidan O’Brien a pris la suite d’un autre très grand, Vincent O’Brien, gendre de John Magnier, et entraîneur légendaire du 20ème siècle, aux manettes à Ballydoyle, empire aujourd’hui de la puissante multinationale Coolmore. O’Brien est un nom de famille commun en Irlande et il n’y a aucun lien de parenté entre les deux et ils n’ont jamais travaillé ensemble, Aidan ayant fait ses classes chez un autre grand, Jim Bolger.

Le jeune Aidan O’Brien a commencé sa carrière loin des pur-sangnés dans le pourpre de Magnier, Tabor et Smith. Ses premiers succès sont glanés en obstacle sur les petit* hippodromes de l’Ile d’Emeraude mais il monte rapidement en grade et est sacré Champion Entraîneur d’Obstacle en Irlande pour la saison 1993/1994, et les 4 saisons suivantes. Pendant cette période, il se fait remarquer en Angleterre avec son premier crack, le triple lauréat du Champion Hurdle paré de la casaque McManus, Istabraq (photo ci-dessous). «Une classe au-dessus de tous ses adversaires», a déclaré à l’époque son mentor…. une phrase qu’il va répéter d’innombrables fois pendant les années à suivre.

Le Derby sinon rien!

Tandis que pour les socio-professionnels de galop français le week-end clé de l’année est celui du Prix de l’Arc de Triomphe, pour Aidan O’Brien c’est le premier samedi de juin, synonyme du Derby d’Epsom («The Derby» pour les anglophones!). «Pour moi le Derby est sans aucun doute la course la plus importante de toutes. La race du pur-sang se mesure à travers le Derby car il s’agit du test le plus complet d’un cheval.» Ca tombe bien, il est le recordman de l’épreuve avec 8 titres et peut-être un neuvième dès ce samedi 5 juin, même s’il a pris les journalistes anglais de court cette semaine en annonçant qu’il allait avoir un seul partant, le grand favori Bolshoi Ballet, quand on s’attendait à une délégation d’au moins quatre poulains Ballydoyle.

Et le Derby français? Le Prix du Jockey Club, et le Prix de Diane, manquent encore au palmarès du maitre de Ballydoyle. En 20 participations, son meilleur résultat dans notre Jockey Club est une deuxième place avec le futur globe-trotteur Highland Reel en 2015. Force est de constater qu’il a toujours réservé ses meilleurs poulains pour Epsom, où Royal Ascot et les St James’s Palace Stakes pour ceux qui ne tiennent pas la distance. Mais cette année, avec St Mark’s Basilica, né en France et héros de la Poule d’Essai des Poulains en mai, sans oublier Van Gogh, lauréat du Criterium International (G1), il semble mieux armé que jamais. Et si Coolmore, qui ont acquis l’ancien vainqueur du Jockey-Club Sottsass pour sa carrière d’étalon, étaiten train de reconnaitre la valeur de cette épreuve d’un point de vue génétique?

Le cheval d’une vie

Pas besoin de réfléchir longtemps. Galileo a marqué la vie d’Aidan O’Brien. Le fils de Sadler’s Wells et Urban Sea a été le premier très grand champion de l’entraîneur, à l’époque âgé de seulement 31 ans, quand il a réussi le triplé rare des Derby d’Epsom, Derby Irlandais et King George VI et Queen Elizabeth II Stakes (photo ci-dessus devant un public so-british!). «Galileo a été notre premier vainqueur du Derby, il a eu un énorme impact sur ma carrière,» s’est rappelé récemment son ancien entraîneur. «Il était quasi-parfait en tant que cheval de course. Il avait de la vitesse, de la tenue, il était tout simplement un cheval merveilleux. Après tout ce qu’il a réussi au haras, on a tendance à oublier son talent sur la piste.» En effet, dans ses fameuses interviews d’après-course on a désormais l’habitude d’entendre les éloges de l’entraîneur concernant les fils, petit-fils et même arrière petit*-fils du champion de Coolmore. «Vous savez, c’est un très bon cheval, avec de la vitesse, de la tenue, qui peut s’adapter à tous les terrains… » avant son incontournable "On va en discuter avec «The Lads» (les «gars» de Coolmore) avant de décider pour la suite…»

Parfois on peut regretter un manque de spontanéité chez Aidan O’Brien mais on ne peut rien lui reprocher coté politesse. Quand il n’est pas au téléphone, il prend le temps de répondre aux interviews avant et après les courses, en utilisant le prénom de son interlocuteur, même s’il dévoile rarement grand-chose! Il préfère toujours détourner les louanges vers son équipe, la chance qu'il a d'entraîner un tel champion, et bien sur l’héritage de Galileo!

Le respect avant tout

Le même respect est évident envers son personnel à Ballydoyle. Quand on a la chance de suivre un lot chez Aidan O’Brien, l’une des choses les plus impressionnantes, en dehors des très nombreux cracks sur les pistes, est son rituel de saluer chaque cavalier, par son prénom, avant et après l’exercice. «Ca va JP?» «Bonjour Patrick, comment va ton cheval,» « Tout va bien, Seamus?» et ainsi de suite, sans un cri et toujours avec la possibilité de faire reculer le 4X4 afin de bien écouter une réponse détaillée, et ce pour une bonne cinquantaine de personnes.

Même s'il vit à 100 à l'heure et est concentré à 100% sur ses chevaux, la famille est prioritaire pour Aidan O'Brien. Les O'Brien ne connaissent pas les longues vacances estivales en famille mais les quatre enfants ont profité de vacances studieuses dès leur jeune âge, notamment aux quatre coins des Etats Unis à l'occasion de différentes Breeders' Cup (ci-dessous à Lone Star Park dans le Texas en 2004).

Joseph, Sarah, Anastasia et Donnacha ont tous monté en course, et les deux frères comptent deux titres de cravache d'or irlandaise chacun. Après avoir brillé dans les plus belles épreuves associées aux cracks de leur père (ci-dessous lejeune Joseph entouré de ses parents savoure son succès dans la Breeders' Cup Turf 2011 en selle sur St Nicolas Abbey), Joseph et Donnacha ont pris leur licence d'entraîneur et sont définitivement fait du même bois qu'Aidan, pour qui ils sont aujourd'hui des adversaires redoutables.

Une rivalité familiale très amicale

Parmi ses nombreux victoires de Groupe 1, Joseph a déjà réussi à s'imposer deux fois dans la Melbourne Cup qui a toujours échappé à son père.Quant à Donnacha, il a remporté trois Groupes 1 pendant sa toute première saison en 2020, dont le Prix de Diane que cherche son père encore. En 2018, Aidan a eu une première réaction de père, pas de comptétiteur battu, quand ses fils l'ont privé d'une 13ème victoire dans le Derby Irlandais avec Latrobe, entraîné par Joseph et monté par Donnacha ; "J'espérais que les garçons allaient continuer jusqu'au poteau. J'aurais été dégouté de les battre car ils travaillent dur, 7 jours sur 7. On est ravi, c'est une journée très spéciale."

A voir lequel sera le premier des trois à remporter le Kentucky Derby, grand objectif international d'Aidan!

On le sait, Aidan O’Brien est méticuleux et veut tout maîtriser. Pas pour lui les longues soirées arrosées au bar ou au pique-nique suivi d'un restaurant pendant le meeting de Royal Ascot, ou une nuit à l'hôtel à Paris la veille de l’Arc. Dès qu’il le peut, il repart toujours chez lui, certes en avion privé, pour faire la tournée du soir à l’écurie et assister aux entraînements importants le matin. De toute façon, c'est là où il préfère être :"Je n'ai aucun hobby, les chevaux sont mon golf. Je m'absente de l'écurie uniquement pour aller aux courses et je prends un peu de temps le soir pour me décontracter, mais il faut toujours être frais et prêt à prendre des décisions importantes."

Le Covid a bouleversé sa routine, lui qui aimait toujours être présent pour seller ses chevaux et les flatter sur l'encolure avant de les envoyer au départ."Cela les rassure, ils ont l'impression d'être à la maison", explique-t-il. A son plus grand désarroi, l'écurie a commis une grave erreur l'an passé lors d'un Groupe 1pour pouliches de 2ans, à Newmarket. Avec les restrictions de déplacement du personnel, en arrivant en Angleterre les chevaux ont été confiés à un membre de l'équipe basée à Newmarket, et au moment de seller les partantes, il s'est trompé entre les deux pouliches qui ont donc couru sous fausse identité. Résultat, £4000 d'amende et un Aidan O'Brien confondu d'excuses sur une situation rarissime; "Il y avait une chance surun million que cela arrive. Désormais, nous allons envoyer un scanner avec les chevaux pour vérifier leur identité à la descente de l'avion et sur l'hippodrome."

Allô maman?

Et aufait, à qui parle-t-il lors de ces fameux coups de fil entre le passage du poteau et le rond des vainqueurs? Un riche propriétaire ?Un manager ou peut-être son assistant resté à l'écurie ? Dans une interview avec le journaliste anglais Matt Chapman, il a expliqué, «Si (mon épouse) Anne-Marie n’est pas aux courses, je serais au téléphone avec elle pendant la course, et puis tout de suite après la course, j’appelle ma mère. Evidemment si Anne-Marie est avec moi, je ne suis pas au téléphone avec elle, mais j’appelle toujours ma mère après la course. Ma mère est en train de penser à nous et à souhaiter que tout se passe bien, et je lui dis toujours, «merci beaucoup maman», parce que si elle n’était pas là, je n’en serais pas là non plus !» Un véritable gentil garçon!

Photos: Jean-Charles Briens